Le goodwill, ou écart d’acquisition, dont le poids au bilan des groupes n’a cessé de croître au cours des dernières décennies, est régulièrement sous le feu des projecteurs, comme en témoigne la récente recommandation AMF en vue de l’arrêté des comptes 2020 (DOC-2020-09). La dépréciation éventuelle des goodwill représente en effet pour les entreprises un enjeu considérable à court terme dans le contexte économique actuel.
Au-delà de la problématique de dépréciation des goodwill, la question structurante du contenu informatif du goodwill pour les investisseurs méritait d’être à nouveau posée, 15 ans après l’entrée en vigueur de la norme IFRS 3 « Regroupement d’entreprises ». La Fondation IFRS a publié en ce sens en mars 2020 un Discussion Paper [1] (DP/2020/1), qui propose des améliorations possibles pour aider les investisseurs à évaluer le succès des acquisitions d’entreprises ; les commentaires sont attendus pour la fin de l’année 2020.
La persistance du goodwill : un débat récurrent
D’un point de vue comptable, le goodwill correspond schématiquement à la différence entre le prix payé et la valeur comptable de l’entreprise acquise, après la reconnaissance et la réévaluation à la juste valeur de tous ses autres actifs corporels et incorporels ; en pratique, il résulte soit d’actifs incorporels dont les caractéristiques ne permettent pas une identification individuelle ou une comptabilisation séparée conformément à la norme IFRS 3, soit de synergies attendues par l’acquéreur.
Plus de 15 ans après l’adoption de la norme IFRS 3 et la substitution des tests de dépréciation aux amortissements [2], la question de la persistance de la valeur du goodwill resurgit à plusieurs reprises dans le Discussion Paper et en particulier dans l’appel à commentaires sur une réintroduction possible de l’amortissement du goodwill [3], qui constituerait un « retour en arrière » inhabituel.
Derrière cette éventualité se profilent en filigrane les préoccupations, d’une part, des utilisateurs de l’information financière quant à la pertinence des cash flows prévisionnels utilisés par les entreprises pour tester la valeur de leurs actifs, qui paraissent parfois trop volontaristes [4] ; d’autre part, de certains membres du Board de l’IASB qui relèvent que les tests de dépréciation ne sont pas suffisamment robustes pour reconnaître à temps les pertes de valeur.
Le constat sur le contenu informatif du goodwill
Le programme de recherche du Board de l’IASB a mis en évidence une déficience des états financiers : en dépit du volume de données requises par la norme IFRS 3, les informations fournies s’avèrent en réalité inadaptées pour permettre aux investisseurs et aux autres parties prenantes d’appréhender correctement le rationnel de certaines acquisitions et de suivre les performances subséquentes, afin d’apprécier in fine si les réalisations des entreprises acquises s’avèrent à la hauteur des attentes du management.
L’objectif affiché par le Board est une simplification du processus de dépréciation du goodwill (l’obligation de réaliser un test annuel en l’absence d’indice de perte de valeur pourrait ainsi être supprimée) et un recentrage des informations requises sur les objectifs poursuivis par le management ainsi que sur les performances du périmètre acquis.
Les sources d’amélioration du contenu informatif et les principales contraintes
Sur les 14 questions incluses dans l’appel à commentaires, 4 [5] se rattachent spécifiquement aux informations pour lesquelles une communication pourrait être rendue obligatoire, en lien avec :
- les objectifs justifiant la réalisation de l’acquisition ;
- les indicateurs retenus par le management pour apprécier les performances des entreprises acquises ;
- le feedback du management sur l’atteinte ou non des objectifs initialement fixés, au regard des indicateurs susmentionnés.
À titre indicatif, le Board envisage notamment que des informations soient fournies sur les éventuelles synergies attendues par le management, en précisant leur nature, les montants estimés, l’horizon de réalisation et les coûts induits pour les atteindre.
En définitive, l’allègement du processus et la réorientation vers la communication d’informations davantage qualitatives que chiffrées, pourraient accroître l’utilité du goodwill pour appréhender le succès d’une acquisition, tout en limitant le coût de production de ces informations. Si l’objectif poursuivi par le Board est louable, la communication risque toutefois en pratique de se heurter au caractère sensible des informations visées, de nature commerciale ou stratégique, ainsi qu’à la difficulté de mesurer dans le temps des performances sur des périmètres qui ont souvent vocation à être intégrés [6].
Par Romain Delafont
[1] « Business Combinations – Disclosures, Goodwill and Impairment ».
[2] Jusqu’en 2004, l’ancienne norme IAS 22 requérait un amortissement du goodwill sur une durée maximale de 20 ans.
[3] L’opinion préliminaire de l’IASB penche pour le maintien exclusif des tests de dépréciation, avec toutefois une courte majorité, seulement 8 membres sur 14 ayant voté pour.
[4] Il est toutefois souligné dans le Discussion Paper que l’IASB considère que l’excès éventuel d’optimisme doit être traité par les auditeurs et les organismes de régulation, et non pas par un changement de normes.
[5] Questions 1 à 4 du Discussion Paper.
[6] Au stade actuel, les propositions incluses dans le Discussion Paper prévoient l’obligation pour le management de justifier, le cas échéant, l’arrêt du suivi des indicateurs de suivi de la performance avant la fin du deuxième anniversaire d’acquisition.