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Quels sont les champs d’intervention explicitement prévus par le régulateur et ceux auxquels l’expertise indépendante pourrait s’étendre ?

La règlementation de l’AMF

Dans ses textes de portée réglementaire, le régulateur prévoit deux situations, évoquées ci-après, qui requièrent explicitement la mission d’un expert indépendant, l’article 261-3 du règlement général de l’AMF laissant en outre l’entière liberté à tout émetteur ou tout initiateur d’une offre publique d’achat (OPA) ou/et [1] d’échange (OPE), de désigner volontairement (i.e. en l’absence de conflit d’intérêt) un expert indépendant ; celui-ci se conformera alors aux mêmes dispositions réglementaires que celles qui auraient prévalu si sa désignation avait été rendue obligatoire ; dans les opérations d’envergure et/ou d’ « OPA hostiles » et/ou de restructuration complexe, ce type de désignation, qu’elle soit à l’initiative des parties prenantes et/ou sollicitée par le régulateur, est d’ailleurs quasiment systématique.

Le cas de l’OPA/OPE « classique »

Le titre VI « Expertise indépendante » du Livre II « émetteurs et information financière » du règlement général de l’AMF, ainsi que les deux instructions relatives, l’une aux « Offres publiques d’acquisition » (DOC-2006-07), l’autre à l’ « Expertise indépendante » (DOC-2006-08) complétée par la recommandation sur l’ « Expertise indépendante dans le cadre d’opérations financières » (DOC-2006-15), constituent le cadre de la mission « habituelle » de l’expert indépendant consistant à attester l’équité des conditions financières d’une OPA/OPE pour les actionnaires minoritaires, en contrepartie de leur désengagement -volontaire ou non- du capital de la société « Cible » dont les titres sont visés par l’offre publique d’acquisition [2].

Les conflits d’intérêts mentionnés à l’article 261-1 I du règlement général de l’AMF et nécessitant l’intervention d’un expert indépendant ne sont qu’indicatifs (et non pas limitatifs, l’appréciation des conflits d’intérêt relevant en premier lieu de la responsabilité des parties prenantes à l’opération).

« Il en est ainsi notamment dans les cas suivants :

1° Lorsque la société visée est déjà contrôlée au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce, avant le lancement de l’opération, par l’initiateur de l’offre ;

2° Lorsque les dirigeants de la société visée ou les personnes qui la contrôlent au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce ont conclu un accord avec l’initiateur de l’offre susceptible d’affecter leur indépendance ;

3° Lorsque l’actionnaire qui la contrôle au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce n’apporte pas ses titres à une offre publique de rachat lancée par la société sur ses propres titres ;

4° Lorsqu’il existe une ou plusieurs opérations connexes à l’offre susceptibles d’avoir un impact significatif sur le prix ou la parité de l’offre publique considérée ;

5° Lorsque l’offre porte sur des instruments financiers de catégories différentes et est libellée à des conditions de prix susceptibles de porter atteinte à l’égalité entre les actionnaires ou les porteurs des instruments financiers qui font l’objet de l’offre ;

6° Lorsque l’acquisition de la société visée est rémunérée par des instruments financiers mentionnés au 1° du II de l’article L. 211-1 du code monétaire et financier donnant accès ou pouvant donner accès, directement ou indirectement, au capital ou aux droits de vote de l’initiateur ou d’une société appartenant au groupe de l’initiateur, autres que des actions. »

L’article 261-1 II prévoit en outre que la Cible désigne également un expert indépendant préalablement à la mise en œuvre d’un retrait obligatoire obligeant l’actionnaire à y apporter ses titres.

Le rapport d’expertise indépendante concluant, sous la forme d’une attestation affirmative, à l’équité des conditions financières de l’OPA/OPE, est présenté par l’expert à l’ « organe compétent » de la Cible (conseil d’administration, conseil de surveillance,…) qui l’a mandaté, pour lui permettre de rendre un avis motivé sur l’intérêt de l’offre publique d’acquisition pour les actionnaires sollicités, voire contraints dans la perspective d’un retrait obligatoire, à y apporter leurs titres ; à ce titre, il fait partie intégrante -et généralement prépondérante- de la note d’information de Cible en réponse à la note d’information de l’initiateur, toutes deux mises en ligne dès le dépôt du projet d’offre, et visées par l’AMF au stade de la décision de conformité du régulateur avant le lancement de l’opération.

Le cas des opérations de restructuration

Dans un registre moins connu que le précédent, mais cependant d’actualité, a fortiori dans le contexte de crise sanitaire et de ses conséquences sur le plan économique et en termes de besoins de financement pour les entreprises fragilisées par une baisse d’activité et de rentabilité, l’article 261-2 du règlement général de l’AMF stipule, pour les opérations de restructuration financière, que « tout émetteur qui réalise une augmentation de capital réservée avec une décote par rapport au cours de bourse supérieure à la décote maximale autorisée en cas d’augmentation de capital sans droit préférentiel de souscription et conférant à un actionnaire, agissant seul ou de concert au sens de l’article L. 233-10 du code de commerce, le contrôle de l’émetteur au sens de l’article L. 233-3 dudit code, désigne un expert indépendant qui applique les dispositions du présent titre ». Indépendamment de cette condition fixée règlementairement, il est fréquent que la désignation d’un expert indépendant dans un contexte de restructuration soit décidée, par l’organe compétent de la société concernée, sur une base volontaire [3] pour sécuriser, vis-à-vis des parties prenantes, le dispositif de renflouement mis en place.

L’opération de recapitalisation doit alors en effet conduire l’expert indépendant, dont la mission s’avère plus large et en définitive plus complexe que dans une OPA/OPE « classique », à exprimer « un avis motivé sur les circonstances » de l’augmentation de capital réservée, et/ou le cas échéant d’autres solutions de désendettement (augmentation de capital avec droit préférentiel de souscription, abandons de créances, refinancement de la dette,…) au travers notamment d’une « analyse de la recherche et de la mise en concurrence des solutions alternatives de refinancement » pouvant être envisagées, d’un « examen de la situation actuelle de la Société et de ses perspectives », ainsi que d’un « examen du traitement en équité de l’ensemble des acteurs » [4] (et non pas seulement des actionnaires).

À la différence du cas précédent de l’OPA/OPE « classique », c’est au vote de l’assemblée générale des actionnaires qu’est présentée la note d’opération incluant sinon le rapport d’expertise indépendante in extenso, à tout le moins l’attestation d’équité, généralement mise à la disposition des actionnaires également sur le site d’information de la société concernée.

Les recommandations de l’AMF

Nous retiendrons deux situations pour lesquelles le régulateur préconise en tant que « bonne pratique » l’intervention d’un expert indépendant.

Les cessions et acquisitions d’actifs significatifs

Dans sa position – recommandation relative aux cessions et acquisitions d’actifs significatifs (DOC 2015-05), l’AMF recommande aux sociétés cotées de consulter leur assemblée générale préalablement à la cession, en une ou plusieurs opérations, d’ « au moins la moitié de leurs actifs totaux en moyenne sur les deux derniers exercices [clos] », les promesses ou options de vente étant également visées ; ce seuil est apprécié en fonction de l’atteinte durant cette période, par rapport au moins à la moitié du montant consolidé, d’au moins deux ratios parmi les cinq suivants :

  • le chiffre d’affaires réalisé par le ou les actifs ou activités cédés rapporté au chiffre d’affaires consolidé ;
  • le prix de cession du ou des actifs rapporté à la capitalisation boursière du groupe ;
  • la valeur nette du ou des actifs cédés rapportée au total de bilan consolidé (seuls les passifs affectés aux actifs cédés doivent être pris en compte, et non pas le passif global de la société) ;
  • le résultat courant avant impôts généré par les actifs ou activités cédés rapporté au résultat courant consolidé avant impôt ;
  • les effectifs salariés de l’activité cédée rapportés aux effectifs mondiaux du groupe.

Selon le régulateur, la consultation de l’assemblée générale des actionnaires réalisée dans les conditions de quorum et de majorité des assemblées ordinaires (majorité simple de 50%) « devrait prendre la forme d’un vote sur une résolution présentée au vu d’un document du conseil d’administration ou de surveillance ou du directoire », et « le contrat de cession conclu par les parties peut subordonner la réalisation de l’opération à l’assemblée générale, conférant ainsi un effet contraignant à cette délibération consultative ». À ce titre, l’AMF recommande que le conseil d’administration ou de surveillance, la direction générale ou le directoire puisse justifier, notamment par le recours à un expert indépendant, de la sollicitation d’avis externes sur :

  • l’intérêt de l’opération, entre autres au regard de l’intérêt social ;
  • sa valorisation ; et
  • les modalités envisagées.

Sans que les seuils susmentionnés et qu’une consultation préalable de l’assemblée générale soient jugés nécessaires par l’AMF en cas d’acquisitions d’actifs significatifs, la promotion de bonnes pratiques permettant, comme pour les cessions d’actifs significatifs, d’en démontrer la conformité à l’intérêt social, conduit le régulateur à recommander, par extension, la sollicitation, par les mêmes organes (conseil d’administration ou de surveillance, direction générale ou directoire), d’avis externes, dont celui d’un expert indépendant, pour « toute opération [en l’occurrence d’acquisition] portant sur des actifs significatifs ».

Les acquisitions de blocs auprès d’un actionnaire majoritaire ou significatif

Dans le même souci de rassurer les actionnaires sur l’intérêt social de l’opération et l’absence de rupture d’égalité entre eux, le « Guide sur les programmes de rachat et les mesures de stabilisation » (DOC-2017-04) de l’AMF, relevant que, dans le cas d’acquisitions de blocs auprès d’un actionnaire majoritaire ou significatif :

  • ce type de rachat « permet d’offrir une sortie totale ou partielle du capital à certains actionnaires dont les autres ne bénéficient pas»,
  • « la conformité de ces transactions à l’intérêt social de la société concernée peut poser question dans certaines configurations, s’agissant d’une mobilisation de trésorerie en faveur d’un actionnaire en particulier», et que
  • « la question du conflit d’intérêt doit également être prise en compte»,

considère comme une bonne pratique « d’avoir recours à une attestation d’équité, dès lors que le bloc est significatif compte tenu de la structure de l’actionnariat du titre. Cette attestation examinera si la transaction est dans l’intérêt de la société, compte tenu des conditions prévues et de la situation de la société et se prononcera sur le prix prévu qui devrait, sauf situation particulière, comporter une décote par rapport au prix de marché ».

Le champ d’extension de l’expertise indépendante est vaste

Au-delà des dispositions prévues par le régulateur, l’expertise indépendante peut s’avérer utile dans bien d’autres situations pour renforcer la confiance des actionnaires et/ou des investisseurs, non seulement dans un environnement coté, mais également le cas échéant lors de transactions privées ; les quelques exemples suivants ne sont qu’illustratifs de l’intérêt d’y recourir dans différents contextes :

  • l’examen des conditions d’émission ou de rachat d’instruments de dettes obligataires (assorties le cas échéant de bons de souscription d’actions), susceptibles de placer les organes de direction dans une situation de conflit d’intérêts ;
  • le suivi des clauses spécifiques relatives aux opérations de cession et d’acquisition (compléments de prix, garanties d’actif et de passif,…) ;
  • le contrôle de solvabilité dans la perspective de la souscription d’emprunts bancaires ou de l’émission de dette obligataire ;
  • le règlement des conflits d’intérêts au sein des « organes compétents » (conseils d’administration, conseils de surveillance,…) en cas de conventions réglementées ;
  • les augmentations de capital, en particulier pour les sociétés cotées ;
  • les opérations d’introduction en bourse.

Par Olivier Cretté et Romain Delafont

[1] En cas d’offre publique mixte.

[2] Ledouble publie à intervalle annuel son analyse des offres publiques sur le marché français déclarées conformes dans le cadre de l’article 261-1 du règlement général de l’AMF (pratiques de marché, méthodes et paramètres d’évaluation, évolutions réglementaires). « Analyse des offres publiques 2020 », 8ème édition.

[3] Les expertises indépendantes menées dans le cadre de l’article 261-2 et de l’article 261-3 du règlement général de l’AMF, régissant respectivement les augmentations de capital réservées et la nomination d’un expert indépendant à titre volontaire, font l’objet d’une étude de Ledouble. « Opérations de restructuration, De l’utilité de l’expertise indépendante », janvier 2021.

[4] Source : règlement général de l’AMF commenté, LexisNexis, 2013, p. 318 ; Rapport annuel 2008 AMF, pp. 106-1

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