Nous assistons au grand retour du tout-État à l’heure même où, pour des raisons de grande détresse financière, celui-ci est au sommet de son impuissance. Reste-t-il le moindre espace de liberté, a fortiori de légitimité, pour la société civile ? Et pourtant au plan international qui est, dans de nombreux domaines, le seul qui vaille, celle-ci tente de conserver son pré carré, défendue il est vrai par la relative faiblesse de la société des nations.
Ne parlons pas des ministres de la société civile ! Malheureux détenteurs de maroquins fugaces et sans le moindre contenu, ils ont rapidement démontré que seule la classe politique, celle qui n’a jamais vécu d’autre chose que des fonds publics, avait la capacité à gérer le pays. Est-ce étonnant ? Non, puisque la plupart du temps, on eut soin de choisir des personnes sans aucune expérience administrative ou gouvernementale et sans poids politique. Oui, tout de même, car après tout quelle expérience politique avait donc le Général de Gaulle en 1940 ou Georges Pompidou en 1962 ? ou encore Barack Obama, devenu Président des États-Unis sans avoir jamais eu d’autre fonction politique qu’une unique mandature de sénateur ? Mais rien n’y fait. La fausse idée répandue à l’envi selon laquelle la politique est un métier dégoûte tous ceux pour lesquels elle ne l’est pas, à s’engager.
La société civile prend donc sa revanche dans les interstices laissés par le tout-État ou dans le domaine international.
Elle prend naturellement sa place dans les organisations de notables, derniers avatars des corporations de jadis : ordres professionnels, chambres de commerce, des métiers, de l’agriculture… On s’aperçoit d’ailleurs de manière assez surprenante que ceux qui passent du statut de responsables socioprofessionnels à celui de politiciens font rarement des merveilles : que l’on pense à François Guillaume dans le domaine agricole, ou à Claude Malhuret dans celui des ONG.
Elle pousse aussi ses pions dans des domaines pourtant bien balisés : ce sont les XX en matière agricole, les tentatives de monnaies locales, des initiatives telles que le covoiturage ou l’échange d’appartements entre personnes de nationalités différentes pour le temps des vacances. Internet est un puissant levier qui redonne du pouvoir à ceux que l’État veut materner de la naissance au trépas.
Mais son champ le plus fécond, c’est bien sûr, celui de l’action internationale. La société des nations est un filet à mailles très lâches, et la coopération interétatique un mécanisme lourd et peu efficace. Ainsi l’État se trouve-t-il tout étonné quand :
- il s’aperçoit qu’il a perdu sa souveraineté comptable au profit de l’IASB, un organisme privé !
- dans un tout autre domaine la FIFA n’est pas en reste, qui rappelle vertement au gouvernement français que le mouvement sportif est libre et que toute infraction à cette règle se traduira par une suspension des équipes françaises dans les compétitions internationales ;
- il doit finir par admettre qu’une partie de ses élèves francophones échappent au réseau des lycées français pour trouver refuge dans le réseau du Baccalauréat International, là encore une fondation de droit privé.
On pourrait multiplier les exemples dans tous les comportements de la vie. La mondialisation pousse à l’initiative et veut des réponses plus rapidement que ce que peut délivrer une coalition d’États.
Il est temps de reprendre la formule qui fut si profitable à M. Giscard d’Estaing : l’État n’a pas le monopole de l’intérêt général. Nous n’avons pas délégué à l’État ce monopole exclusif, contrairement à ce que prétendent de sommaires disciples de Jean-Jacques Rousseau. Et ce qui est vrai pour nous l’est évidemment davantage encore pour les ressortissants de beaucoup d’autres pays, qui n’ont pas comme nous un respect quasi-sacré de l’État !
À quelque chose malheur est-il bon ? Les Français dégoûtés de la politique et de ses représentants vont-ils, au lieu de se jeter dans les bras d’illusoires bateleurs, enfin se prendre individuellement en main, retrouver le goût d’entreprendre, accepter que la vie présente des risques qui sont aussi des opportunités, forger les réseaux qui sont les leviers de l’action internationale ?
En tout cas, c’est ce que me faisait penser les deux derniers Salons des Entrepreneurs, pourtant tenus sous deux Présidents de la République différents. Le moindre sous-secrétaire d’État se croit obligé d’y imposer sa présence, ce que le public ne demande en aucune façon. Leurs Excellences sont donc venues parader devant un parterre d’entrepreneurs représentés à la tribune par certains de leurs meilleurs délégués. Mal leur en a pris et les représentants du tout-État, qu’ils soient de gauche ou de droite, ont eu droit à une volée de bois vert…
Dominique Ledouble